Définition

Définition

Dans les bras de Marseille







Tu m’as trainé dans les rues de Marseille. Je riais fort, je titubais. Mes chevilles se tordaient sur mes talons trop usés, je me sentais bruler d’ivresse au bout de ton bras. Je riais dans le caniveau. On  à fermé le bar, puis le deuxième. J’ai offert la rose qu'on m'a offert à la propriétaire, l’ancienne prostitué de Noailles. Une de ces femmes qui ont des rides qui racontent la nuit, l’alcool et l’odeur des inconnus. Des rides qui racontent comme elles sont belles, comme elles sont les femmes du monde, les femmes des trottoirs.
On a finit dans un troquet, un de ces bars qui ne ferment jamais. Un de ces lieux qui n’existe pas pour la plupart des gens sains. Il y avait toi, moi et le monde qui n’existe pas. Les hommes qui mangent des boulettes à la viande entre deux passes, les mafieux, les maquereaux, les serveuses usées par les piliers. Il y avait toi, qui me regarde rire, qui sais que je suis bien sur mon tabouret de bar à partager mes luckys avec la serveuse. Toi tu le trouves pourri ce troquet, tu détestes les piliers qui t’emmerdent à te demander si tu es algérien ou portugais. Tu détestes le barman qui te sert ton pastis en souriant comme le soleil. Tu détestes le proprio, le Russe, qui force ton regard noir pour que tu te rappelles les règles du lieu. Tu détestes le troquet qui sent la boulette et les fins de passes mais c’est ce qui ressemble le plus à ton chez toi. C’est ici que tu veux être. Là, au comptoir, à finir ton verre pour commander « la même », à fumer et  à bouffer des olives dégeulasses.
Pour une fois je suis là. Tu n’amène jamais personne ici. Tu ne veux pas t’occuper de moi mais de temps en temps tu jettes un œil. Tu me vois rire avec la serveuse, ça te rassure. La nuit défile, les gens moins. Tout est lent, tristement paisible ici. On à le temps de voir les heures s’échapper.
Je finis par t’agripper la cuisse, j’aime beaucoup ta maison mais il est 6h15, Marseille se réveille et moi je veux dormir.
Tu écrases ta cigarette sur le comptoir en fixant le Russe. La serveuse m’embrasse les joues amoureusement. Elle me dit au revoir avec insistance et j’ai l’impression qu’elle me crie de fuir, loin, loin d’ici, du troquet, de Marseille. Ses yeux, ses cernes, ses balafres crient la douleur des années de comptoir, la douleur des nuits et la misère de Marseille. Elle aurait voulu partir elle, loin des boulettes.
Elle garde un œil sur le bar, sur les hommes seuls et muets du comptoir. Le patron la surveille, elle le sait, elle évite ses yeux. Elle m’ouvre la porte. Dehors je t’attrape la main, je te veux encore un peu près de moi. On marchera alors le plus lentement du monde en se moquant des gens plus saouls que nous. On regardera les étudiants qui titubent sur le port, les vieux sur les bancs, les plus pauvres encore dans le caniveau. On marchera le plus lentement du monde parce qu’on sait qu’on ne rentre nulle part. Cela fait longtemps que toi et moi nous avons plus de chez nous. Le seul chez nous c’est le troquet du bas de Marseille qui sent  la boulette et qui sert des olives desséchées dans des verres de pastis. C’est tout.

On ne rentrera nulle part et demain on s’oubliera. J’écrirai quelque chose sur toi pour que nos nuits me paraissent exister quelque part. Pour exister au troquet d’en bas.

J'ai le corps faché









Docteur Godin, mon allergologue, semble inquiet et totalement excité par mon cas. Tout mes tests sont positifs. Le verdict est tombé. Pellicinine – Aspirine - Armoise – Fenouil - Panais - Acariens de type A et B - Poils de chats – Graminée – Latex - Kiwi – Mangue – Ananas – Goyave – Céleri – Curry – Litchy et Patate crue. La patate crue, franchement, je l'ai mal pris.

Ce matin, Jacqueline, l’étudiante en pharmacie, m'a planté 60 piques à brochettes dans le bras, et puis elle a entouré les boutons, ajouté des numéros et soigneusement appliqué du scotch pour relever les empreintes. Après ça elle a collé les scotchs sur la feuille des résultats en me parlant du taux de chômage et je suis retournée voir Docteur Godin.

Il m'attend toujours dans sa chemise blanche, les bras croisés, le sourire près à me recevoir. Aujourd'hui derrière son bureau il y a une armée d’étudiants en médecine. Ils se lèvent tous pour me dire bonjour et se rassoient tous en même temps que moi. Je montre mon bras à Godin et les tous les étudiants se penchent pour admirer. Ils ont l'air vachement impressionné et moi je suis plutôt fière d’intéresser autant la médecine. Docteur Godin leurs explique que je suis un cas formidable, que c'est très rare autant d'allergie chez les adultes, que j'ai tout de même de la chance car très peu de mes ennemis alimentaires sont mortels, que je ne devrais pas mourir de cela, en tous cas pas si je passe ma vie à 15 minutes maximum d'un hôpital.
Moi je dit rien. Je regarde aussi mon bras et je pense à ma future vie de femme des prés dans le Cantal qui est en train de s'effondrer. Godin me dit que ce n'est pas grave, que si je veux tout de même partir faire des randonnées au milieu des prés ou de mes montagnes il me prescrira des stylos d’adrénaline, pour pas que mon cœur ne lâche.

Du coup je pense à mon cœur, je repense à l’hôpital, à la panique, à moi qui respire plus à cause d'une salade de céleri, Je revois l'infirmière qui me parle de mon cœur qui s'affole et moi qui lui répond que oui j'aimerais bien retrouver l'homme de ma vie. Je crois qu'elle me dit que elle aussi avant de me filer un calmant en intraveineuse.

Je l'aime bien Godin, c'est un faux sérieux. Il parle très lentement . Il me dit des truc compliqués sur les ige croisés et fait toujours des petits schémas pour mieux m'expliquer.
Il rit de mon mug de café et il me dit que je devrais ralentir. Il redit que je suis un cas formidable pour me fait sourire. Il fixe souvent ma nuque aussi. Je crois qu'il aime beaucoup la nuque des femmes, je l'ai vu faire pareil avec Jacqueline, en pharmacie.

Quand je pars de chez Godin, je me sens toujours moins formidable. Je me sens triste et allergique. Je suis une femme au ige sensible. D'après ma thérapeute, j'ai le symptôme de l'enfant abandonné ou de la femme battue . « Ton corps est fâché » me dit elle. Mon corps est fâché parce que j'ai le cœur enragé. Parce que je suis une femme de seconde main, une esseulée de l'atlantique, une féministe qui titube. Parce que je n'arrive pas à crier sur les plages de Palavas les flots, que je préfère mâcher ma langue et me bousiller l'œsophage. Mon corps est fâché et moi je n'aime plus trop mon corps. Je le revendrais bien des fois contre celui des femmes qui sentent le savon et le goûter des enfants. Mais Godin m'a dit de faire avec, alors je vais le tordre encore un peu, gratter les croûtes et le dissoudre sous ma douche. Je vais encore l'amener chez Docteur Godin, car si je n'aime pas mon corps, j'aime beaucoup mon allergologue. 

Camping pour tous ?






Ils campent devant le Sénat, se prenant pour des révolutionnaires, des messies à la bonne parole, ils demandent un printemps français, ils réclament leurs mai 68. Ils sont mignons ces nouveaux jeunes à vivre leur première désobéissance civile, ils sont mignons et terrifiants. Ils ont récupéré les slogans d’extrême gauche parce qu' ils ont bien compris que les versets de scout ça renversaient pas la politique. Ils sont là, fières et pimpants, obstinés contre cette loi.

Vous dites que ce sont vos premières manifestations, mais où étiez vous les 10 dernières années, quand nous, étudiants, ouvriers, chômeurs et smicards nous combattions le CPE, la brutalisation policière, la précarisation ou la privatisation de nos facs, où étiez vous ? Vous étiez au chaud dans vos lycées privés et vos écoles supérieures ? Vous étiez au chaud sur le banc de l'église à prier pour réussir vos concours de l'élite ? Vous ne vous êtes jamais sentis concernés par les 10 millions de français qui vivent sous le seuil de pauvreté, vous n'êtes jamais descendus dans la rue pour eux. Alors vous savez quoi ? Faites moi une faveur, ne descendez pas dans la rue contre le mariage pour tous. Vous ne vous sentez concernés par personne alors pourquoi autant d'implication contre les droits des homosexuels à se marier ou à adopter ?
Pourquoi cela vous affecte à ce point ? Pourquoi criez vous au crime contre l'humanité ?
Dans mon humanité à moi, dans mon monde à moi, on se bat pour l'égalité des droits, pour tous et sans tarder. Dans mon monde à moi on ne campe pas devant le sénat pour enlever aux autres le droit de s'aimer et d'avoir une famille.
Nous ne voulons pas de votre morale judéo- chrétienne et de vos fantasmes de vie familiale.
De quel droit devez vous freiner l'égalité des droits ? Pour la filiation ? Pour un papa et une maman ? Pour préserver la naturelle procréation ?
Si dans 15 ans vous mettez au monde (de manière très naturelle) un enfant homosexuel, comment lui expliquerez vous que vous avez campez devant le Sénat pour qu'il n'est pas les mêmes droits que vous ? Vous lui direz qu'un homosexuel doit être célibataire sans enfants ? Pourquoi ? Parce que c'est plus chrétien ? Parce que ça vous fout moins d'eczéma? Parce que vous préfériez que votre fils soit malheureux que d'avoir des croûtes sur les bras ?

Rentrez chez vous profiter de votre famille « parfaite » et laissez les autres avoir celles qu'ils désirent. Si pour vous cette famille là, avec 2 mères ou 2 pères, est un bordel, je peux vous assurer que ce sera l' un des plus tendre bordel que vous verrez.  

Avec des meilleurs genoux tu serais devenue Présidente





Tu avais 7 ans et du chewing-gum pleins les cheveux. Tu regardais les étoiles depuis les prairies texanes, il n'y avait rien de plus calme et de plus douloureux. Tu serais devenue Présidente de l’Amérique si tu avais pu courir plus vite. Mais la prairie t'a rattrapé et tu haïras tes jambes pour l'éternité. Tu leurs dira de se taire, de rester debout, de dresser le peu de fierté qu'il te reste. Dans les temps calmes, en dehors de tes tempêtes, la dignité n'existe pas. La dignité n'existe pas quand on regarde les étoiles du bout du monde. Il y a seulement un corps lourd, tout entier, qui sent le vent dans ses orifices, qui sent le vent sur les poils des femmes. Il y a ton corps et tes cheveux pleins de chewing-gum qui sont moins noirs que la nuit du Texas. Le souffle du désert te rend calme et sereine, il n'y a plus de bonheur accessible et c'est tant mieux. Tu imagines tourner la terre comme une boule à neige, voir les étoiles de polystyrène se poser sur ta peau. Voir tomber le léger, pour apaiser le lourd. Oublier la noirceur pour une seconde, retourner la douleur et regarder les derniers flocons se poser. Avec des meilleurs genoux tu serais devenue Présidente. Le corps serait devenu différent. Il n' avait pas d'amour possible, il n'y avait de sens que le désert. Tu n'avais rien à offrir. Le potentiel ne veut rien dire, c'est une excuse pour la propriété. Toi, tu n'appartenais à personne. Tu regardais les étoiles depuis la terre d'Amérique. La peau et la terre finissaient toujours pas se confondre et l'idée de la mort te donnait la nausée. Il n' y avait de sens que le désert. Tu voulais échapper au yeux du monde, tu voulais voir les ménages s'enflammer et voir les femmes devenir la Révolution. Tu voulait vendre ni ton corps, ni ton cœur, ni ton cerveau. Avec des meilleurs genoux tu serais devenue Présidente.

Eczéma




Il est 13h00. Je termine cette nuit et matinée surréaliste. J'ai erré toute la nuit à travers Rosemont pour finir par me cacher sous tes bras. Pour m'échapper de l'étranger qui a cru que ma maison et mon vagin on était une table d'hôte. Et ce matin au lieu de prendre mon café avec toi, mon époux potentiel, je me suis sauvée. J'ai centrifugé des cellules cancéreuses avec Cécile en attendant que l'inconnu soit partis de chez moi. Attendre et oublier comme je suis idiote. Je me suis dit que sauver le monde dans un laboratoire de chimie était plus agréable que de déjeuner avec l'étranger. Je me suis dit que sauver le monde avec des gants de latex ferait de moi une héroïne pleine d'eczéma. Je me suis dit que si l'eczéma s'étendait et rongeait ma peau, j'aurais moins mal au cœur. J'aurais besoin de moins de vin blanc pour noyer la douleur de te perdre. Mais je n'ai pas sauvé le monde ce matin, je n'ai même pas sauvé notre amour. Mon amour maladroit de supermarché de banlieue. Je n'ai rien sauvé et j'ai de l'eczéma. On nous à définitivement menti sur le sens de la vie autant que sur l'avenir du monde. On nous remplace le pétrole par des barils de chagrins. On achète notre malheur au prix de l'or et on crève encore plus pauvre d'avoir tenté de soigner notre cancer. Au mieux on endettera nos enfants de notre propre mort, parce que aujourd'hui le pancréas c'est comme un écran plat ça s'achète sur sa marge de crédit. Alors non ce matin je n'ai rien changé au monde, je n'ai rien changé au cancer et moi et mes croûtes on a finis par rentrer à la maison. Maintenant je vais juste continuer d'enrichir un peu plus Nivéa en m'étalant un peu de crème hydratante. Hydrater l'eczéma. Hydrater ma peau irritée. Hydrater ma peau délaissée de la tienne.

Moustache et Carte d'affaire






Il n’était pas vraiment beau. Assez grand je pense, brun sûrement. Je ne me rappelle pas vraiment. Je ne me rappelle que de sa moustache finalement. Une belle moustache. Sa moustache et son vélo. Un beau vélo.

Il a croisé ma vie. Pas comme une aventure qui croise votre sofa les dimanches soirs, non il a croisé ma vie. Il a croisé ma vie, juste croisé, pendant douze ans. Quand j’avais quinze ans, j’avais une tendance vicieuse ou seulement précoce à collectionner les trentenaires. Médecin, avocat, commercial ou cadre de n’importe quoi. Ils ne me faisaient pas vibrer, mais j’aimais juste racoler les cartes d’affaires, les Christian Duchemin et Patrick Lafontaine qui vendent du rêve ou des robinets. Peu importait tant que la carte était de la bonne taille, imprimée dans un carton de qualité. Les cartes étaient ambitieuses, les hommes moins. A mi-chemin entre les Tupperware de maman et les placements en bourse. Égarés entre leur solitude et leur besoin de carrière. Toujours incapables de se souvenir du nom du pressing. Près à acheter du cul sur le trottoir et à vendre leur main en ligne.


J’ai fini par épouser, du haut de mes vingt-et-un ans, la plus belle carte d’affaire. Un imprimé noir et blanc imitant le carrelage des cuisines vintages. Le courriel était écrit dans une typographie imitant des tuyauteries. Un vendeur de cuisine. J’ai vibré.


Vingt ans plus tard je ne vibre plus.
Je suis assise sur la chaise de la cuisine, celle usée par les chats dont je ne me souviens plus des noms. Touffu, Toupoil, Tougros, ou peut être Hector, je sais plus. J’ai oublié vite. Je suis assise sur la chaise aux couleurs de la tapisserie, un lilas que je ne me rappelle pas non plus avoir choisi. C’était peut-être la mode il y a vingt ans. J’ai sûrement dû y penser longtemps, comparer les échantillons, regarder les tendances, en discuter avec ma mère.

Je suis assise sur la chaise de la cuisine depuis vingt ans j’ai l’impression. Une belle cuisine, forcément. L’angle y est parfait, on y voit le perron. Je ne pensais pas un jour avoir un perron. Quand j’avais quinze ans, que je me fabriquais des jupes avec des nappes de cuisine carottées, le perron me faisait juste rire. J’imaginais les familles américaines appauvries par l’église caressant leurs chats et les nattes de leurs douze enfants, là sur le perron. Maintenant il y a sûrement des adolescentes qui se moquent de mon perron et me prennent pour une mère de famille qui fait des nattes à ses enfants. Elles ont raison. Elles ont raison et ça me rend triste.

Je suis assise sur la chaise de la cuisine et je regarde le perron, pas pour le perron, pour le vélo. Je ne m’inquiète pas. Il arrive toujours, à l’heure, c’est rassurant. Il arrive, le vélo et la moustache aussi. Il n’a pas de carte d’affaire. Un jour, au tout début, je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu «Pourquoi j’aurais une carte d’affaire, je suis facteur, c’est à moi de vous trouver».
Alors je l’ai laissé me trouver, du lundi au vendredi. Je l’ai attendu, à 11h15 pour les beaux jours, un peu plus tard par temps de pluie. Quand il neigeait trop j’appelais Postes Canada pour savoir s’il allait passer. Comme ça je lui préparais un café latte à emporter pour vaincre la tempête. Il a croisé mon perron comme ça pendant douze ans, sans jamais vraiment me parler. Il a monté mes marches, regardé par la fenêtre de ma cuisine, renversé sa moustache et enfourché son vélo comme ça, pendant douze ans. Et moi je ne me suis jamais lassée, de le regarder, assidûment déposer mes factures et les cartes postales de Cuba ou Cancun des collègues antipathiques de mon mari. Il était mon repère dans le Sahara de ma vie. Je pensais à lui, à chaque seconde de mes journées. Je pensais à sa vie de facteur, à son vélo pimpant, à sa femme, pas plus heureuse que moi. Je me disais que j’aurais pu monter sur son vélo, comme ça, sans rien dire et me laisser trainer de perron en perron, de boîte aux lettres en boîte aux lettres jusqu’à qu’on en choisisse une à nous. Je me disais que j’aurais aimé que sa moustache effleure mes cuisses, une fois comme ça, pour être la maîtresse du facteur.
Mais je n’ai rien fait, à part des cafés latte les jours de tempête. Je n’ai rien fait à part continuer de faire des plats de lasagnes pour un mari que je n’aimais plus. Je suis restée amoureuse du facteur, sur ma chaise de cuisine, une belle cuisine. Et puis il est mort, fauché par une voiture. «Pas étonnant pour un facteur » m’a dit la voisine.


Il est mort avant qu’on se connaisse, avant que je monte sur son vélo, avant que sa moustache frôle mes cuisses, avant qu’on se trouve une boîte aux lettres, une belle, une bleue. Il est mort, comme ça, si vite, après 12 ans.


Il n’était pas vraiment beau. Assez grand je pense, brun sûrement. Je ne me rappelle pas vraiment. Je ne me rappelle que de sa moustache finalement. Une belle moustache. Sa moustache et son vélo. Un beau vélo.

RER






Je me demande comment ils arrivent encore à faire de la prose avec ce mot ; RER. Comme si ça pouvait encore arranger la poésie, comme si les romans populistes prenaient du grade à chaque fois qu’un petit Beigbeder casait RER entre deux paragraphes. Paragraphes déjà mauvais, déjà ratés a l’initial.

Je le connais pourtant ce RER, je le sens, je le vis, je le suis. Je suis un de ces fantômes qui machinalement attendent sur leur quai sale, qui machinalement entrent dans un wagon sale, qui machinalement se battent pour un siège sale. Je suis là, 6h36, m'échappant de ma ville dortoir au nom trop factice pour être retenu, aux maisons trop semblables pour être visitées. Je lis le journal qui parle de gens plus tristes, plus riches ou plus fous que moi, je mange un croissant atrophié de la distributrice, j’attends. Les portes s’ouvrent sûrement car je m’avance, il est 6h36.Je dispute ma place assise pour sauver 47 minutes à mes genoux, mes genoux qui vieillissent. Qui vieillissent de rien, à part du RER debout. Je dispute ma place vigoureusement, presque éhonté. Je me dispute fort pour la rendre l’arrêt suivant à une femme enceinte. Je vérifie tout de même la crédibilité de son ventre gonflé, on m’a trop souvent fait le coup du coussin, je suis méfiant.Des fois je me dis que je devrais les laisser debout ces génitrices, au diable la procréation. De toute manière il faudra bien qu’ils apprennent vite à rester debout dans le RER ces enfants. A moins qu’il ne soit assez brave pour quitter la douceur de votre ville dortoir, votre enfant risque fort de se retrouver à se battre pour le même siège dégueulasse du même RER que vous. Des copies conformes de votre laideur matinale, avec la coupe de cheveux ratée en moins.Mais finalement que l’on ait le luxe de la place assise ou la bravoure de rester debout, le paysage est le même. Encore plus triste que vous. Une enfilade, un cimetière de boites à vivre. Des boites bien empilées à la verticale pour faire plus de place pour le RER à l’horizontale. Des flux en bas, des morts empilés jusqu’en haut. Déplacez-vous vite, allez et revenez, et puis crevez, là-haut au dix-septième étage, comme un con. Un con qui prenait le RER.


« Ah oui il est mort ? C'était qui déjà ? Sa face ne me revient pas. Mais si ! Tu sais le tout maigre avec des cravates fuchsias. Non celui-là je l’ai vu hier, il descend à Bagneux avec moi. Ah bon ? Ben alors je ne sais pas qui c’est qui est mort alors. »


Comme un con, comme moi qui ai pris le RER chaque matin pour aller payer mon logement semblable dans une ville dont personne ne se souvient du nom. Un logement que l’on choisit le plus proche de son travail, le plus proche d’un RER. Logement qui n’a rien vécu d’autre que de recevoir la fatigue de mes labeurs, de mes labeurs à le payer.



Comme c’est stupide, comme je me sens con, ce matin, demain matin, à me battre pour ma place assise. Mais je le fais encore, car tant qu’a être con, autant être assis.

C’est souvent à cause de Duras.






C’est souvent à cause de Duras. C’est souvent à cause de Duras que j’écris.

Elle a ce talent parfois si désagréable d’écrire sur le silence, un silence qui fait parler. Duras écrit sur ce qui n’existe pas, sur un latent pénible, souvent trop long. Sur la douleur tacite du monde, sur le fond de votre existence, parfois si ordinaire. Lire un Duras, c’est comme retrouver un pont entre tous les silences du monde. Retrouver le sentiment qu’on a vécu à un moment donné de notre vie, ou pour certains autres malchanceux chaque jour de notre vie. Retrouver ce néant envahissant qui a dévasté tout ce que vous pensiez insaisissable. Duras c’est la solitude. Une femme devant la fenêtre. Une chambre trop sombre. Une maison de campagne. Une politisée, une partisane communiste oubliée qui a combattu toute affection au monde pour élargir sa plume. Elle a éloigné les autres, les bruits, les inepties pour mieux se retrouver elle, plus forte, plus silencieuse. De ce silence, de cette maison, est née la solitude du corps qui a amené celle de l’écrit. De ce silence, de cette maison, est née une vingtaine de livre. Son auteur les a lus, plus tard, presque surprise de ces mots, ces mots nés d’une chambre vide d’une maison de campagne.

Quand je pense à Duras je ne peux m’empêcher de penser à ses amants. Surtout quand je lis La mort du jeune aviateur anglais. Duras a écrit parfois sur les hommes qui l’ont habitée mais la plupart ont fait partie de son silence. Ils étaient là au cœur de son infinie solitude. Elle était dans l ‘écriture et ils sont restés en dehors, en dehors d’elle, quoi qu’ils puissent un jour en dire. Quand Duras parle du jeune aviateur, de cet enfant mort le dernier jour de guerre, le premier de la paix. Quand Duras parle de l’anglais, il prend toute la place, comme un amour absolu, parfois incompréhensible. Incompréhensible d’aimer cet enfant, inconnu, sans nom ni visage. Pourtant comme dans tout Vaudeville, on finit au fil des lignes par l’aimer, avec la douceur de l’être. Cela devient presque solennel, cette tendresse pour un anglais qui n’a jamais croisé la vie de personne. Une tendresse que Duras n’écrit jamais sur les autres, les hommes qui ont partagé la maison de campagne, sa maison, sa vie, sa vie sans elle. Parce qu’écrire c’est aimer en dehors de soi, avec les excroissances de l’âme. Avec la tendresse et le silence du corps. Je me dis que je n’écrirai jamais comme Duras pour ce talent insaisissable mais surtout parce que je ne me rapprocherai jamais ce cette infinie solitude. Parce que les hommes sont ma solitude. Mes amants définissent le silence qui m’habite dans sa totalité. Ils ont imprégné mes pensées, mon corps, mes mots. Ils n’ont jamais été en dehors de ma vie. Ils m’ont façonnée avec leurs tendresses, leurs arrogances ou leurs mépris. Les hommes que j’ai aimés sont entrés avec une violence charnelle et dévastatrice dans tout ce qui importait à ma vie. Parce que je suis sans frontière, sans mur, sans chambre sombre. Parce que je leur donne ce qui ne leur appartient pas et j’écris ensuite sur ce qu’ils m’ont pris. Duras a conçu son propre silence, loin des hommes, pour elle, pour l’écriture. Moi ce sont les hommes qui ont défini mon silence, pour que j’écrive comme ils me prennent. Pour que j’écrive sur Duras. Pour que j’écrive.



Le vieux sur le banc







Il aurait préféré être deux. Être un héros de chanson populaire. Être un amoureux des bancs publics. Mais non il est le vieux, le vieux sur le banc. C’est comme ça que l’appelle les habitués du parc. Il ne sait pas quand c’est arrivé, à partir de quand les gens ont décidé qu’il était vieux. Pire qu’il était lié au banc. Personne ne l’a officiellement avisé.
Ce genre de chose n’arrive pas du jour au lendemain pourtant. Le monde a décidé ça sans lui. Pas de vote, pas de véto. Quelle injustice. Si on l’avait prévenu, il aurait fait des suggestions. Quelque chose de plus glamour ou plus héroïque.


Il ne se rappelle pas depuis combien de temps il s’assoit sur ce banc. Il a toujours vécu ici, il a toujours choisi ce banc. C’était un passage obligé, après le bureau et les dimanches. Depuis sa retraite, c’est devenu plus fréquent. Il l’aime. Ce n’est pas parce il est plus confortable que d’autre. Ce n’est pas non plus par superstition étrange ou peur du changement. C’est juste qu’on y voit bien depuis ce banc-là. On voit les jeux d’enfants jusqu’au parking de l’ancien Provencia. On voit les allers et venues des familles, des travailleurs, des sportifs et des sdf. On voit tout le monde. Ceux qui s’arrêtent, ceux qui ne s’arrêtent pas. Et tous ceux qui hochent la tête en le voyant, lui, le vieux du banc. Le genre de salut qu’on fait par reconnaissance, par pitié ou par attachement aux gens à qui on a jamais parlé, mais qui ont toujours été là.

Il ne sait jamais rendu compte qu’il était vieux. Assez vieux pour faire partis du décor.

Il a l’impression que rien n’a vraiment changé depuis la fin de ses études. Après son bac il a travaillé, beaucoup. Il a vécu avec des femmes, beaucoup aussi. La plupart sont partis d’elle-même. Il ne demandait pas pourquoi. Il savait. En général il descendait fumer une cigarette, sur le banc, le temps qu’elles fassent leurs valises. Quand il revenait, son appartement était à moitié vide, un peu plus que la moitié enfaite. Alors il retournait sur le banc, fumer une autre cigarette, pour oublier la grosse moitié. Il n’a jamais écourté une cigarette pour leur courir après, pour cacher leur valise, pour barrer la porte. Il laisse ça au cinéma français. Sa vie à lui n’est pas un film, ou alors un très mauvais, ou les journées grises se ressemblent.
Maintenant Lelouch lui donnerai peut être le rôle d’un figurant, le vieux sur le banc. Cette idée le fait sourire. Il serait un personnage urbain, un quidam universel. Un type qu’on aime, malgré nous. De la manière la plus simple du monde.

Il n’aime pas Lelouch de toute manière. Il n’aime pas le cinéma français non plus. Il se dit que c’est trop facile de mettre une jolie bande sonore sur le quotidien déchu des parisiens. Sa vie à lui aurait paru, forcément, bien plus fascinante avec une trame sonore. Il aurait pu chaque matin se balader avec une stéréo portative. Passer en boucle les meilleures ballades des années 80, que la musique le suive du métro au bureau, du bureau aux femmes mal aimés, des femmes mal aimées au banc du parc, du banc au métro, du métro au bureau … Cela aurait donné une toute autre dimension à ses 75 dernières années.
Mais il n’a pas eu de bande sonore pour sa vie. Et il le sait il n’y aura pas de chanson ni de films de Lelouch sur lui ou sur son banc. Il ne laisse rien de fascinant. Les femmes qui l’ont quitté ont finis par l’oublier, les enfants qu’il n’a pas faits aussi. Les bureaux ou il a passé les 30 dernières années ont déjà repeint les murs et aucun nouvel employé ne connais même son nom.
Il s’accroche au seul amour qui lui reste, ceux des passants qui hochent la tête. Qui le salut, lui le vieux du banc. Il se dit que peut être la fille qui écrit sur le banc d’en face, tous les dimanches avec son café et sa chocolatine, écrira un jour sur lui. Il se dit qu’elle ne pourra jamais raconter comme il est triste de ne pas faire partie d’un Lelouch.

Ben oui





Ben oui si j’avais su écrire des choses bien intelligentes, si j’avais su écrire des analyses géopolitiques, des mémoires d’histoire franco-croate, des critiques littéraires postmodernes, je l’aurais fait. Mais moi je sais juste écrire des histoires sur des mamans bien gentilles qui meurent du cancer du sein et des bonhommes très frustrés qui trompent leurs femmes bien gentilles atteintes de cancer du sein. Je n’y peux rien, y’a que ça qui sort. Des histoires de gens tristes qui ont oublié qu’ils étaient tristes.