Définition

Définition

RER






Je me demande comment ils arrivent encore à faire de la prose avec ce mot ; RER. Comme si ça pouvait encore arranger la poésie, comme si les romans populistes prenaient du grade à chaque fois qu’un petit Beigbeder casait RER entre deux paragraphes. Paragraphes déjà mauvais, déjà ratés a l’initial.

Je le connais pourtant ce RER, je le sens, je le vis, je le suis. Je suis un de ces fantômes qui machinalement attendent sur leur quai sale, qui machinalement entrent dans un wagon sale, qui machinalement se battent pour un siège sale. Je suis là, 6h36, m'échappant de ma ville dortoir au nom trop factice pour être retenu, aux maisons trop semblables pour être visitées. Je lis le journal qui parle de gens plus tristes, plus riches ou plus fous que moi, je mange un croissant atrophié de la distributrice, j’attends. Les portes s’ouvrent sûrement car je m’avance, il est 6h36.Je dispute ma place assise pour sauver 47 minutes à mes genoux, mes genoux qui vieillissent. Qui vieillissent de rien, à part du RER debout. Je dispute ma place vigoureusement, presque éhonté. Je me dispute fort pour la rendre l’arrêt suivant à une femme enceinte. Je vérifie tout de même la crédibilité de son ventre gonflé, on m’a trop souvent fait le coup du coussin, je suis méfiant.Des fois je me dis que je devrais les laisser debout ces génitrices, au diable la procréation. De toute manière il faudra bien qu’ils apprennent vite à rester debout dans le RER ces enfants. A moins qu’il ne soit assez brave pour quitter la douceur de votre ville dortoir, votre enfant risque fort de se retrouver à se battre pour le même siège dégueulasse du même RER que vous. Des copies conformes de votre laideur matinale, avec la coupe de cheveux ratée en moins.Mais finalement que l’on ait le luxe de la place assise ou la bravoure de rester debout, le paysage est le même. Encore plus triste que vous. Une enfilade, un cimetière de boites à vivre. Des boites bien empilées à la verticale pour faire plus de place pour le RER à l’horizontale. Des flux en bas, des morts empilés jusqu’en haut. Déplacez-vous vite, allez et revenez, et puis crevez, là-haut au dix-septième étage, comme un con. Un con qui prenait le RER.


« Ah oui il est mort ? C'était qui déjà ? Sa face ne me revient pas. Mais si ! Tu sais le tout maigre avec des cravates fuchsias. Non celui-là je l’ai vu hier, il descend à Bagneux avec moi. Ah bon ? Ben alors je ne sais pas qui c’est qui est mort alors. »


Comme un con, comme moi qui ai pris le RER chaque matin pour aller payer mon logement semblable dans une ville dont personne ne se souvient du nom. Un logement que l’on choisit le plus proche de son travail, le plus proche d’un RER. Logement qui n’a rien vécu d’autre que de recevoir la fatigue de mes labeurs, de mes labeurs à le payer.



Comme c’est stupide, comme je me sens con, ce matin, demain matin, à me battre pour ma place assise. Mais je le fais encore, car tant qu’a être con, autant être assis.