Définition

Définition

C’est souvent à cause de Duras.






C’est souvent à cause de Duras. C’est souvent à cause de Duras que j’écris.

Elle a ce talent parfois si désagréable d’écrire sur le silence, un silence qui fait parler. Duras écrit sur ce qui n’existe pas, sur un latent pénible, souvent trop long. Sur la douleur tacite du monde, sur le fond de votre existence, parfois si ordinaire. Lire un Duras, c’est comme retrouver un pont entre tous les silences du monde. Retrouver le sentiment qu’on a vécu à un moment donné de notre vie, ou pour certains autres malchanceux chaque jour de notre vie. Retrouver ce néant envahissant qui a dévasté tout ce que vous pensiez insaisissable. Duras c’est la solitude. Une femme devant la fenêtre. Une chambre trop sombre. Une maison de campagne. Une politisée, une partisane communiste oubliée qui a combattu toute affection au monde pour élargir sa plume. Elle a éloigné les autres, les bruits, les inepties pour mieux se retrouver elle, plus forte, plus silencieuse. De ce silence, de cette maison, est née la solitude du corps qui a amené celle de l’écrit. De ce silence, de cette maison, est née une vingtaine de livre. Son auteur les a lus, plus tard, presque surprise de ces mots, ces mots nés d’une chambre vide d’une maison de campagne.

Quand je pense à Duras je ne peux m’empêcher de penser à ses amants. Surtout quand je lis La mort du jeune aviateur anglais. Duras a écrit parfois sur les hommes qui l’ont habitée mais la plupart ont fait partie de son silence. Ils étaient là au cœur de son infinie solitude. Elle était dans l ‘écriture et ils sont restés en dehors, en dehors d’elle, quoi qu’ils puissent un jour en dire. Quand Duras parle du jeune aviateur, de cet enfant mort le dernier jour de guerre, le premier de la paix. Quand Duras parle de l’anglais, il prend toute la place, comme un amour absolu, parfois incompréhensible. Incompréhensible d’aimer cet enfant, inconnu, sans nom ni visage. Pourtant comme dans tout Vaudeville, on finit au fil des lignes par l’aimer, avec la douceur de l’être. Cela devient presque solennel, cette tendresse pour un anglais qui n’a jamais croisé la vie de personne. Une tendresse que Duras n’écrit jamais sur les autres, les hommes qui ont partagé la maison de campagne, sa maison, sa vie, sa vie sans elle. Parce qu’écrire c’est aimer en dehors de soi, avec les excroissances de l’âme. Avec la tendresse et le silence du corps. Je me dis que je n’écrirai jamais comme Duras pour ce talent insaisissable mais surtout parce que je ne me rapprocherai jamais ce cette infinie solitude. Parce que les hommes sont ma solitude. Mes amants définissent le silence qui m’habite dans sa totalité. Ils ont imprégné mes pensées, mon corps, mes mots. Ils n’ont jamais été en dehors de ma vie. Ils m’ont façonnée avec leurs tendresses, leurs arrogances ou leurs mépris. Les hommes que j’ai aimés sont entrés avec une violence charnelle et dévastatrice dans tout ce qui importait à ma vie. Parce que je suis sans frontière, sans mur, sans chambre sombre. Parce que je leur donne ce qui ne leur appartient pas et j’écris ensuite sur ce qu’ils m’ont pris. Duras a conçu son propre silence, loin des hommes, pour elle, pour l’écriture. Moi ce sont les hommes qui ont défini mon silence, pour que j’écrive comme ils me prennent. Pour que j’écrive sur Duras. Pour que j’écrive.