Définition

Définition

J'ai le corps faché









Docteur Godin, mon allergologue, semble inquiet et totalement excité par mon cas. Tout mes tests sont positifs. Le verdict est tombé. Pellicinine – Aspirine - Armoise – Fenouil - Panais - Acariens de type A et B - Poils de chats – Graminée – Latex - Kiwi – Mangue – Ananas – Goyave – Céleri – Curry – Litchy et Patate crue. La patate crue, franchement, je l'ai mal pris.

Ce matin, Jacqueline, l’étudiante en pharmacie, m'a planté 60 piques à brochettes dans le bras, et puis elle a entouré les boutons, ajouté des numéros et soigneusement appliqué du scotch pour relever les empreintes. Après ça elle a collé les scotchs sur la feuille des résultats en me parlant du taux de chômage et je suis retournée voir Docteur Godin.

Il m'attend toujours dans sa chemise blanche, les bras croisés, le sourire près à me recevoir. Aujourd'hui derrière son bureau il y a une armée d’étudiants en médecine. Ils se lèvent tous pour me dire bonjour et se rassoient tous en même temps que moi. Je montre mon bras à Godin et les tous les étudiants se penchent pour admirer. Ils ont l'air vachement impressionné et moi je suis plutôt fière d’intéresser autant la médecine. Docteur Godin leurs explique que je suis un cas formidable, que c'est très rare autant d'allergie chez les adultes, que j'ai tout de même de la chance car très peu de mes ennemis alimentaires sont mortels, que je ne devrais pas mourir de cela, en tous cas pas si je passe ma vie à 15 minutes maximum d'un hôpital.
Moi je dit rien. Je regarde aussi mon bras et je pense à ma future vie de femme des prés dans le Cantal qui est en train de s'effondrer. Godin me dit que ce n'est pas grave, que si je veux tout de même partir faire des randonnées au milieu des prés ou de mes montagnes il me prescrira des stylos d’adrénaline, pour pas que mon cœur ne lâche.

Du coup je pense à mon cœur, je repense à l’hôpital, à la panique, à moi qui respire plus à cause d'une salade de céleri, Je revois l'infirmière qui me parle de mon cœur qui s'affole et moi qui lui répond que oui j'aimerais bien retrouver l'homme de ma vie. Je crois qu'elle me dit que elle aussi avant de me filer un calmant en intraveineuse.

Je l'aime bien Godin, c'est un faux sérieux. Il parle très lentement . Il me dit des truc compliqués sur les ige croisés et fait toujours des petits schémas pour mieux m'expliquer.
Il rit de mon mug de café et il me dit que je devrais ralentir. Il redit que je suis un cas formidable pour me fait sourire. Il fixe souvent ma nuque aussi. Je crois qu'il aime beaucoup la nuque des femmes, je l'ai vu faire pareil avec Jacqueline, en pharmacie.

Quand je pars de chez Godin, je me sens toujours moins formidable. Je me sens triste et allergique. Je suis une femme au ige sensible. D'après ma thérapeute, j'ai le symptôme de l'enfant abandonné ou de la femme battue . « Ton corps est fâché » me dit elle. Mon corps est fâché parce que j'ai le cœur enragé. Parce que je suis une femme de seconde main, une esseulée de l'atlantique, une féministe qui titube. Parce que je n'arrive pas à crier sur les plages de Palavas les flots, que je préfère mâcher ma langue et me bousiller l'œsophage. Mon corps est fâché et moi je n'aime plus trop mon corps. Je le revendrais bien des fois contre celui des femmes qui sentent le savon et le goûter des enfants. Mais Godin m'a dit de faire avec, alors je vais le tordre encore un peu, gratter les croûtes et le dissoudre sous ma douche. Je vais encore l'amener chez Docteur Godin, car si je n'aime pas mon corps, j'aime beaucoup mon allergologue.